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Ancienne médecin généraliste et députée au Parlement bruxellois, Claire Geraets œuvre depuis sa jeunesse en faveur de l’accessibilité des soins de santé pour tous. Elle s’impliqua d’abord dans une maison médicale bruxelloise, puis fonda, en 1992, sa propre structure à Schaerbeek. Engagée à Cultures&Santé dès ses premières années, elle est un précieux témoin des 40 ans de parcours de l’association. Elle revient dans cet entretien sur ses débuts, son évolution et souligne les défis à relever.

Pourriez-vous vous présenter en deux mots ?

Je suis médecin généraliste. J’ai travaillé en maison médicale de 1977 à 2016. J’ai commencé dans une maison médicale située près de la gare du Nord et issue des luttes d’habitants du quartier contre les expropriations liées aux grands projets immobiliers. Les membres de la maison médicale cherchaient une femme médecin généraliste -il n’y en avait pas beaucoup à ce moment-là- pour répondre entre autres aux besoins d’un certain nombre de femmes issues de l’immigration. J’y ai travaillé jusqu’en 1991. Puis, en 1992, j’ai fondé la maison médicale La Clé à Schaerbeek affiliée au réseau Médecine pour le peuple, qui rassemble les maisons médicales créées à l’initiative du Parti du Travail de Belgique. Je suis aussi membre de ce parti et élue, depuis 2014, au Parlement bruxellois.

Comment êtes-vous arrivée à Cultures&Santé ?

J’ai commencé mes études à l’Université de Leuven à l’époque de la scission linguistique et de Mai 68. Cette période de lutte a eu de grosses répercussions dans les facultés de médecine en Belgique et a été à l’origine d’un grand mouvement de remise en cause de l’establishment médical. De là, sont nées les premières maisons médicales au milieu des années 1970. Je suis donc issue d’un courant qui prônait un changement de société et qui questionnait dans le monde du soin les conditions d’accès et la place du patient. Pratiquant la médecine dans un quartier où la population était essentiellement immigrée, la question de l’intégration de la dimension culturelle dans la relation avec les patients s’est très vite posée. J’envisageais la notion de culture dans son sens large, englobant aussi bien les aspects ethniques que sociaux. Je cherchais une association qui pouvait m’accompagner dans ce cheminement et c’est tout naturellement vers Cultures&Santé [le Comité socio-médical pour la santé des immigrés] que je me suis dirigée. Après quelques temps, j’ai demandé à être membre de l’assemblée générale que je n’ai plus quittée depuis. À la fin des années 2000, je me suis investie dans l’association de manière plus intense en faisant partie du conseil d’administration pendant une dizaine d’années.

Quel rôle jouait Cultures&Ssanté dans les premières années ?

Dans la première décennie, il y a, de mon point de vue, trois aspects importants au travail de l’association. Premièrement, Cultures&Santé a très tôt organisé des journées de formation à destination des acteurs de la santé non seulement pour qu’ils puissent acquérir des compétences mais aussi pour qu’ils puissent échanger entre eux sur les difficultés qu’ils rencontraient dans les relations avec leurs patients. L’objectif de ces journées était donc de créer du réseau et d’enrichir les pratiques respectives. Deuxièmement, il y avait la nécessité d’équiper les acteurs de terrain dans leur travail d’éducation pour la santé. Dans la maison médicale où je travaillais, des cours de français étaient organisés. J’avais proposé d’y inclure des animations santé. Je me rendais dès lors à Cultures&Santé pour y trouver de la documentation et du matériel didactique venant de Migrations Santé (une association française très avancée dans ce domaine). C’est de ces expériences d’éducation en milieu populaire que naîtra, plus tard, en 1993, le Guide de l’animation santé édité par Cultures&Santé. Troisièmement, j’ai été très vite confrontée dans mes consultations à la barrière de la langue. Pour que nous puissions nous comprendre, les patientes emmenaient avec elles leurs enfants chargés de traduire nos échanges. Ce n’était pas vraiment une bonne solution car les enfants manquaient l’école et nous ne pouvions pas aborder certains sujets devant eux. Au sein de Cultures&Santé, nous avons donc assuré des formations destinées à des femmes issues de l’immigration pour qu’elles puissent assumer une fonction d’interprète.

Concrètement, comment a démarré le projet ?

Je connaissais une jeune patiente d’origine turque qui, atteinte d’une maladie inflammatoire chronique, avait connu plusieurs séjours à l’hôpital et dans un sanatorium. Au sein de celui-ci, se trouvaient des enfants schaerbeekois emmenés de force par les services sanitaires faisant croire à leurs parents qu’ils avaient la tuberculose. Ces pratiques n’étaient possibles qu’avec des parents incapables de bien s’exprimer et ignorant leurs droits. Sensibilisée par ces abus, parlant le français et connaissant le monde hospitalier mieux que moi, cette fille a endossé, à mon invitation, un rôle d’interprète pendant quelques temps. Cette expérience a été le point de départ de la réflexion sur la nécessité de former des femmes. Cultures&Santé a, en fait, repris le projet-pilote que j’avais initié et l’a développé à plus grande échelle, en offrant d’emblée un contrat de travail aux personnes en formation.

Et par la suite, avez-vous perçu une évolution dans les activités de Cultures&Santé ?

Certainement. Pour résumer, je pense que Cultures&Santé est passée de l’artisanat au professionnalisme. Au début, nous faisions des essais, des projets-pilotes... Puis, l’association s’est professionnalisée et s’est inscrite dans le champ de la promotion de la santé avec une reconnaissance au niveau politique grâce à des activités de création d’outils pédagogiques et de formation.

Selon vous, quelle est la spécificité de Cultures&Santé ?

Cultures&Santé a la particularité de se soucier de la culture populaire d’origine immigrée. Ce lien avec cette culture est important. L’asbl le cultivait à ses débuts et le cultive toujours aujourd’hui, par exemple, en élaborant des outils pédagogiques avec les gens.

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Quel bilan tirez-vous de l’activité de Cultures&Ssanté ?

À titre personnel, Cultures&Santé m’a permis de mieux comprendre la promotion de la santé et de m’ouvrir aux aspects culturels de la santé. Ceci étant dit, je trouve vraiment que l’asbl fait du travail de qualité malgré le cadre financier restreint qu’on lui impose. Cultures&Santé crée des outils magnifiques et bénéficie d’un personnel motivé qui met toutes ses compétences au service de l’objet social. Je les admire beaucoup pour ça. Je trouve qu’on devrait leur donner les moyens nécessaires pour que leurs compétences soient mieux mises à profit dans les formations de formateurs, dans les universités, dans les écoles de santé publique, dans les formations de thérapeutes au sens large.

Depuis 40 ans, la situation a-t-elle évolué en matière d’inégalités sociales de santé ?

Certes, les choses ont évolué mais ça ne va pas mieux. Les inégalités augmentent, la pauvreté s’accroît et donc l’état de santé de beaucoup de gens se dégrade. Néanmoins, il existe, selon moi, trois motifs d’espoir. D’abord, les réseaux sociaux augmentent la conscientisation et la mobilisation. Puis, il y a le potentiel de l’action collective. Quand on agit ensemble pour quelque chose de juste, ça fait du bien et ça, je pense que ce n’est pas très connu. Enfin, il y a les travaux de Richard Wilkinson, professeur d’épidémiologie sociale à l’Université de Nottingham, qui montrent que plus une société est égalitaire, plus les gens vivent longtemps et en bonne santé. Et ça profite également aux plus riches. Donc, si on agit pour une société plus égalitaire tout le monde ira mieux. Alors, allons-y !

Pourriez-vous définir Cultures&Santé en un seul mot ?

Ouverture.

Auriez-vous un message à transmettre à Cultures&Santé à l’occasion de ses 40 ans ?

Je lui souhaite de pouvoir continuer, de se développer, d’ouvrir d’autres champs de compétences et d’en faire profiter le maximum de professionnels et de citoyens.

 

Propos recueillis le 22 janvier 2018 à Bruxelles.