jacquesMembre fondateur en 1972 de la première maison médicale en Région bruxelloise, Jacques Morel a été entre autres secrétaire général de la Fédération des maisons médicales dont il est une figure incontournable. En 1995, il rejoint Cultures&Santé, organisme qui, à travers ses actions sur les déterminants sociaux et culturels, rencontre "sa grille de lecture de la promotion de la santé". Pour nous, il décortique le cadre logique esquissé à l’époque pour dépasser le périmètre de l’éducation pour la santé focalisée sur les personnes immigrées. Il souligne également le rôle de l’éducation permanente en tant que levier de changement social. Rencontre…

Pouvez-vous nous dire quelques mots concernant votre parcours ?

Je suis médecin généraliste, diplômé en 1973 de l’Université de Louvain, comme d’ailleurs beaucoup de personnes qui ont œuvré à Cultures&Santé. Avec d’autres, j’ai fondé la première maison médicale de Bruxelles, Norman Béthune, à Molenbeek, avant d’exercer comme médecin généraliste dans la Maison médicale de Forest que j’ai également créée. De 1981 à 2009, j’ai été coordinateur et puis secrétaire général de la Fédération des maisons médicales. En 2000, je suis devenu conseiller au cabinet de la Ministre de la santé Nicole Maréchal et en 2009, j’ai été élu parlementaire bruxellois. Aujourd’hui, je suis en charge de la Section promotion de la santé du Conseil consultatif Cocof. Je donne également un cours de santé communautaire à l’Ecole de santé publique de l’UCL.

Vous avez été nommé au conseil d’administration de Cultures&santé en 1995, quelles étaient les actions que l’association menait alors ?

Les activités étaient surtout axées sur des publications et des formations de formateurs. La fusion avec l’asbl bruxelloise Promosanté, qui avait comme point d’appui des consultations ONE, nous a ensuite permis d’avoir des activités de première ligne de manière constante. La nature des activités à mener a fait débat pendant plusieurs années au sein de l’équipe : fallait-il plutôt développer des activités de terrain ou des activités de soutien ? Ce tiraillement stratégique a coïncidé avec l’avènement du décret de promotion de la santé de la Communauté française en 1997. Il y avait donc lieu de procéder à un apprentissage de ce nouveau cadre. Mais, la réflexion s’est également portée sur les activités d’éducation permanente dont la reconnaissance était acquise depuis 1984 mais qui nécessitaient, au sein de l’équipe, une consolidation d’un point de vue conceptuel et méthodologique.

Comment cette réflexion s’est déroulée en pratique ?

Nous avons réorganisé les objectifs de l’asbl et mieux explicité les liens entre la promotion de la santé et l’éducation permanente. Par exemple, qu’est-ce que cela signifie d’avoir une grille de lecture des problématiques que nous traitons qui s’inspire à la fois de l’éducation permanente et de la promotion de la santé? Pour répondre à cette question, nous avons, en équipe, suivi un cycle de formations qui a duré plusieurs mois. Nous avons notamment sollicité l’intervention d’un certain nombre de spécialistes, dont celle du Centre bruxellois d’action interculturelle (CBAI). Dans la mesure où l’histoire de Cultures&santé avait été centrée sur l’éducation pour la santé et l’immigration, cette réflexion en équipe nous a permis d’élargir notre lecture du mot "cultures". Nous avons davantage pris en compte les cultures issues du milieu social (culture bourgeoise, culture populaire) et l’ensemble des déterminants culturels de la santé. La dimension émancipatrice et citoyenne des actions a, à partir de là, été mieux mise en avant.

Qu’est-ce qui vous frappe le plus dans l’évolution de l’association ?

Le premier aspect que je soulignerais, porte sur la double reconnaissance de l’expertise de Cultures&Santé à la fois en éducation permanente et en promotion de la santé. Le deuxième aspect est le fait d’avoir professionnalisé et sécurisé financièrement l’institution. Cette assise lui permet aujourd’hui d’avoir une certaine visibilité. Enfin, le troisième aspect est d’ordre technique. L’équipe s’est renforcée, agrandie, formée pour mieux outiller sa pratique (en graphisme, en communication…). L’asbl bénéficie aussi d’un centre de documentation qui s’est développé au fil des ans et de locaux bien adaptés à son activité.

Selon vous, quels sont les axes de travail vers lesquels Cultures&Santé devrait s’orienter dans le futur ?

Le premier axe serait, à mon sens, la formation des professionnels de la santé. Encore aujourd’hui, leur cursus n’inclut pas d’apprentissage sur la manière de prendre en compte les dimensions culturelles de la santé, les représentations des groupes de population d’origines diverses. Je pense que ça serait un beau défi à relever d’inscrire le concept de littératie dans les cours académiques. Le second axe serait d’engager politiquement la promotion de la santé. Il faut mettre sur pied des démarches de plaidoyer vis-à-vis des pouvoirs publics portant sur la nature même du travail de Cultures&Santé : les constats, les niveaux de représentation, les facteurs déterminants. La promotion de la santé doit devenir un outil de développement de la politique.

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Quelle stratégie serait à mettre en œuvre dans ce domaine ?

Si on accepte que "ce qui fait santé" aujourd’hui ce sont de multiples facteurs, qui relèvent des différents secteurs de la vie sociale qui interagissent entre eux, on peut facilement en déduire que c’est le modèle de société qui conditionne la santé et la qualité de vie des populations. Que ce modèle réponde de l’action politique et que l’action citoyenne en soit un levier important dans nos démocraties, conforte l’utilité de stratégies d’alliance, de partenariats avec les nombreux secteurs qui impactent la santé. À ce niveau transparaît tout l’intérêt de la démarche d’éducation permanente qui comporte une dimension citoyenne de l’ordre de la revendication démocratique. Aujourd’hui, si l’action politique se cherche un souffle nouveau, l’action citoyenne prend des formes nouvelles soutenue par des modes de communication et d’information nouveaux et les dynamiques d’éducation permanente/populaire peuvent contribuer à "politiser" la promotion de la santé. Par ailleurs, Cultures&santé peut partager sa connaissance de certaines réalités sociales avec des groupes de pression plus importants. Je pense particulièrement aux syndicats et aux mutuelles car ce sont les partenaires sociaux habituels. Et, ils pèsent sur la politique de santé depuis de nombreuses années.

Quel regard portez-vous sur ces années écoulées ?

J’en garde un excellent souvenir… même si le terme "souvenir" me paraît inadéquat car j’ai l’impression de n’avoir jamais quitté Cultures&Santé. Cet organisme correspond complétement à ma grille de lecture de la promotion de la santé.

La plus grande réussite de Cultures&Santé…

Avoir fait évoluer ses préoccupations en lien avec l’évolution de la société.

Un mot pour qualifier Cultures&Santé ?

Nécessaire.

Un dernier mot concernant les 40 ans de l’association ?

Si dans 40 ans, nous pouvions démontrer que le travail fourni ces 40 dernières années aura été utile pour développer la santé pour tous, cela constituerait un très beau cadeau. Nous avons assez de matière et de cohérence pour réaliser un travail d’évaluation et pour jauger la pertinence de nos actions.

 

Propos recueillis le 14 mars 2018 à Bruxelles.