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Thérèse Claeys Bouuaert, ancienne coordinatrice de Cultures&Santé, a rejoint l’association en 1984. Alors que le conseil d’administration est démissionnaire, elle dispose de 6 mois pour le recomposer et relancer les activités de l’association. A cette époque, souligne-t-elle, il n’était pas difficile de trouver des personnes engagées au sein des maisons médicales ou de l’ONE (Office de la naissance et de l’enfance). C’est ainsi qu’elle demande à Béatrice de Jaer, infirmière en santé communautaire à l’ONE, de rejoindre le conseil d’administration dont elle prend la tête quelques années plus tard. Elles se sont prêtées au jeu de l’interview croisée pour nous livrer leur vision de 10 années marquées par une consolidation stratégique et financière de l’association. Une consolidation rendue possible grâce à une relation de confiance réciproque entre la coordination et le conseil d’administration.

Qu’est-ce qui vous a amenées à Cultures&Santé ?

Thérèse Claeys Bouuaert : J’ai toujours été très sensible à l’idée de comprendre les sociétés de l’intérieur. J’ai donc suivi des études de sociologie à l’UCL. Puis, j’ai suivi une formation d’islamologie à l’ULB afin de comprendre la culture musulmane et ses sensibilités. Forte de ce bagage théorique, je pensais pouvoir convenir pour relancer et coordonner Cultures&santé. J’ai donc rejoint Cultures&Santé le 1er octobre 1984 et je l’ai quittée en 1994.

Béatrice de Jaer : Je suis infirmière en santé communautaire de formation. J’ai travaillé 40 ans en consultation ONE à l’Entr'Aide des Marolles dans le quartier des Tanneurs à Bruxelles. Lors de mes consultations, je rencontrais essentiellement des patientes d’origine marocaine. Au début de ma pratique, mes collègues et moi étions complètement désarçonnés, ne connaissant pas leurs références culturelles. J’avais donc décidé de réaliser un mémoire sur la contraception et les femmes immigrées à la Faculté ouverte de politique économique et sociale (FOPES) à l’UCL. Dans ce cadre, j’étais régulièrement en contact avec Cultures&Santé où j’avais puisé beaucoup d’informations. C’est à ce moment-là que j’ai rejoint l’association. J’y ai cessé mon engagement en 1995.

Quel rôle voulait endosser Cultures&Santé lors du passage de témoin avec l’ancienne équipe ?

TCB : Globalement, nous étions impliquées à deux niveaux : d’une part, dans la communication entre le personnel soignant et les patients, et d’autre part, dans l’éducation pour la santé. J’ai eu la chance d’être présente au moment où la Communauté française a créé un cadre réglementaire d’éducation pour la santé en 1988. Un arrêté permettait le subventionnement d’organismes thématiques au service des éducateurs pour la santé. Cultures&Santé a été agréée en 1991 en tant qu’organisme chargé spécifiquement de la promotion de la santé en milieu immigré peu scolarisé.

BDJ : L’asbl fournissait un soutien aux professionnels qui étaient au contact de personnes immigrées ou illettrées. Nous diffusions des carnets didactiques et nous mettions à disposition de la documentation et du matériel pédagogique.

En quoi consistait concrètement ces activités ?

TCB : Jusqu’à la mise en place du service d’interprétariat socio-médical vers 1991, l’équipe était composée de trois personnes seulement, avec l’aide ponctuelle de bénévoles pour le centre de documentation. De notre temps, nous étions très terre à terre. Nous faisions des formations adressées aux professionnels de la santé pour développer leurs connaissances sur l’alimentation des populations marocaines et turques, sur les règles d’hygiène inhérentes à l’Islam et sur d’autres aspects culturels importants à connaître. En parallèle, un grand nombre d’animations santé dans des salles d’attente de l’ONE, dans des groupes d’alphabétisation, dans des centres médicaux etc. étaient réalisées par Nicole Tinant. Sur base de cette expérience, elle publiera deux guides d’animation aux Editions Vie Ouvrière. Tandis que Latifa Ihadten intervenait en tant qu’interprète-médiatrice dans les consultations de l’ONE et dans des centres médicaux. C’est ce qui a inspiré le développement du service d’interprétariat au début des années 1990. Il avait pour objectif de répondre aux difficultés de communication entre professionnels et usagers d’origine étrangère. Nous formions des femmes qui intervenaient ensuite dans les consultations médicales et sociales en tant que médiatrices, pour faciliter la communication au-delà de la stricte traduction.

BDJ: Nous nous inscrivions dans un mouvement de partage de connaissances. Nous voulions que chacun puisse comprendre son corps. Nous avons beaucoup travaillé avec des groupes d’alphabétisation avec lesquels nous utilisions des brochures portant sur les différents systèmes du corps humain. Je me rappelle que nous avions également réalisé, en collaboration avec l’ONE, une vidéo sur l’allaitement. Nous utilisions beaucoup cet outil dans les consultations.

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En 1987, la dénomination de l’association a été modifiée, pouvez-vous nous en dire plus ?

TCB : Nous étions tous d’accord sur le fait que l’ancienne dénomination, « Comité socio-médical pour la santé des immigrés » n’était pas facile à appréhender. Dès lors, il fallait une dénomination plus explicite et facile à mémoriser afin de mieux cerner l’identité de l’association. Nous avons donc opté pour « Cultures et Santé » qui reflétait nos activités et notre vision. C’est à cette époque que le premier logo de l’asbl a été créé.

Quelles ont été les plus grandes réalisations de Cultures&Santé selon vous ?

TCB : Le Centre antipoison avait mené au sein des services d’urgence des hôpitaux de Bruxelles une recherche sur les intoxications au CO. Il en ressortait que les accidents étaient nombreux dans les milieux infra-scolarisés. Pour tenter de remédier à cette situation, nous avons réalisé une campagne de prévention avec des vidéos en français, en arabe et en turc, des dépliants, des animations, des conférences... Avec le soutien de la Cocof, nous avons également publié un livret pédagogique sur le sujet qui a été primé à la Foire du livre de Bruxelles en 1988. Je peux également souligner la réussite du projet d’interprétariat social et médical, qui a pris une grande place dans notre activité. Cette initiative a lancé une profession qui existe toujours. Lorsque je vois aujourd’hui qu’il y a des interprètes payées par l’ONE, je trouve cela fabuleux.

BDJ : Pour ma part, je retiendrai les formations données qui englobaient des aspects comme les habitudes des familles, l’alimentation, la religion. Mes collègues de l’ONE et moi-même étions souvent confrontés à des questions qui échappaient à nos références culturelles. Ces formations ont constitué une grande ressource pour toute une série de travailleurs médico-sociaux. Par ailleurs, le matériel didactique disponible à l’association (par exemple, des schémas grandeur nature pour expliquer la grossesse et l’accouchement) était très nouveau pour l’époque. Il a été fort utilisé dans les consultations prénatales. Je suis convaincue que ça a permis de motiver l’ONE qui a, depuis lors, réalisé ses propres supports pédagogiques d’une grande qualité.

Que vous inspire Cultures&Santé en un seul mot ?

TCB : Innovation.
BDJ : Cultures&Santé c’est la santé accessible à tous, c’est l’efficacité.

Auriez-vous un dernier mot concernant les 40 ans de Cultures&Santé ?

TCB : Je suis très heureuse de constater que ce que nous avons fait n’a pas été inutile. Je souhaite donc à Cultures&Santé encore 40 ans !
BDJ : Je suis très contente d’avoir collaboré au projet Cultures&Santé. Cela m’a beaucoup apporté sur le plan théorique et pratique. Je pense que cette association est toujours nécessaire surtout eu égard à la politique d’immigration actuelle. Il faut donc rester vigilants !

 

Propos recueillis le 20 mars 2018 à Bruxelles