Philippe De Briey Engagé et passionné, Philippe De Briey agit depuis toujours pour la paix et le dialogue entre les peuples. Dès 1970, il donne des cours de français et offre une aide sociale aux immigrés récents d’origine marocaine et turque. Concerné par leur état de santé, il organise le mouvement qui sera à l’origine de Cultures&Santé. Heureux d’apprendre que l’organisme qu’il a impulsé en 1977 existe toujours, il nous raconte aujourd’hui son parcours et explique les raisons pour lesquelles il avait souhaité fonder l’asbl.

Qui êtes-vous, Philippe de Briey ?

Je suis titulaire de trois masters : en philosophie, en politique économique et sociale, et en théologie chrétienne, le tout à l’Université Catholique de Louvain. J’ai d’abord travaillé une dizaine d’années à Pax Christi (devenu Bepax, un mouvement pour la paix). Ensuite, j’ai dirigé une revue d’inspiration chrétienne intitulée Espérance des peuples, espérance des pauvres. C’était un travail journalistique de conscientisation sur la pauvreté dans le monde. Par après, j’ai également créé Reli-infos un site d’information sur les convictions et les religions dans le but de dépasser les préjugés et de mieux se comprendre les uns les autres, ce qui constitue à mon sens un enjeu décisif pour la paix. Depuis 2012, j’anime également avec d’autres, un groupe de dialogue interculturel à Louvain-la-Neuve.

Qu’est-ce qui vous a amené à fonder le Comité socio-médical pour la santé des immigrés ?

Après l’obtention de mon diplôme en philosophie, je me suis engagé à plusieurs niveaux pour soutenir les immigrés et notamment au sein de l’association "Rasquinet" à Schaerbeek. J’y ai donné des cours à des enfants et des jeunes d’origine turque qui rencontraient des difficultés scolaires. Je pouvais les accompagner car je me débrouillais dans leur langue. Réalisant ensuite un complément d’étude à la FOPES (Faculté ouverte de politique économique et sociale), j’ai écrit un mémoire sur la problématique de la santé des immigrés, en particulier turcs, en partant des constats que je faisais dans mes activités d’animation sociale.

Justement, quels étaient ces constats ?

Le problème principal était celui de la langue. Les difficultés dans la maîtrise du français ou du néerlandais avaient de grandes répercussions sur la santé. Beaucoup d’immigrés turcs n’arrivaient pas à s’approprier le système de santé belge et sollicitaient trop souvent les services d’urgence des hôpitaux. Cela les amenait à faire des erreurs qui avaient un impact sur leur bien-être. Leurs conditions de vie, de travail, de logement constituaient d’autres facteurs fragilisants. Par ailleurs, en interrogeant des personnes du monde médical, comme le Docteur Vercruysse [autre membre fondateur], qui était un ami, j’ai réalisé la nécessité de faire un travail éducatif et le besoin urgent d’interprètes.

Concrètement, comment s’est déroulé la constitution du Comité ?

Je pense que cela a coïncidé avec la défense publique de mon mémoire qui s’est faite au MRAX (Mouvement contre le Racisme, l’Antisémitisme et la Xénophobie) en juin 1977. Dans mes conclusions, je recommandais la création d’un comité médico-social d’aide aux migrants semblable à celui qui existait à Paris [le Comité médico-social pour la santé des migrants créé en 1970 et dont l’appellation actuelle est Migrations santé]. À la suite de cela, j’ai organisé une réunion regroupant des personnes intéressées par la santé des immigrés.

Quelle était votre intention en fondant l’asbl ?

Je dirais d’abord interpeller et informer, à la fois le public migrant, par de la formation, et le personnel médical et social, à travers l’organisation de journées d’études, la constitution d’un fonds documentaire et la publication d’un bulletin d’information. La mise sur pied de recherches devait être un autre axe de travail. Elles pouvaient porter sur la santé mentale, sur la famille, sur les liens entre alphabétisation et éducation sanitaire ou entre habitat et santé. Enfin, nous voulions jouer un rôle de coordination permettant des échanges d’expériences et d’informations entre les organisations de différentes régions du pays, associations en contact avec les migrants et organismes publics, notamment, mais aussi entre ceux-ci et les pays d’origine. Ces initiatives devaient, à long terme, aboutir à des améliorations sensibles de l’état de santé des personnes venues s’installer en Belgique.

Quand et pourquoi avez-vous quitté l’asbl ?

En 1979, j’ai laissé mon emploi d’animation socio-culturelle à une immigrée turque qui pouvait beaucoup mieux réussir auprès de sa communauté et j’ai donc cherché un autre emploi, dans le domaine de la paix. Malheureusement, je n’ai pas pu suivre l’évolution des activités du Comité.

Une des évolutions majeures qu’a connue Cultures&Santé est l’élargissement de son objet social à l’ensemble des personnes fragilisées. Que pensez-vous de cette évolution ?

Les populations issues de l’immigration sont elles-mêmes très diversifiées. Il y a, par exemple, d’énormes différences entre les populations turques et marocaines et les populations issues d’Afrique subsaharienne. La situation est encore plus cosmopolite aujourd’hui qu’à l’époque. Et, n’oublions pas qu’au sein même d’une communauté, il existe des statuts sociaux très différents. Je trouve qu’il est normal d’aller vers les plus vulnérables de la société quelle que soit leur origine.

En quelques mots, comment voyez-vous Cultures&Santé aujourd’hui ?

Je la vois surtout comme un organisme qui aide à mieux comprendre ce qui peut rendre les personnes vulnérables en meilleure santé.

Avez-vous envie d’ajouter quelque chose concernant les 40 ans de Cultures&Santé ?

Cela me fait vraiment plaisir d’apprendre que le Comité socio-médical pour la santé des immigrés, que j’ai impulsé en 1977 existe toujours, même sous un autre nom. Ça me réjouit beaucoup de me dire que j’ai participé à un projet qui a pris une telle ampleur depuis 40 ans. J’ai seulement semé l’idée et d’autres ont pu faire pousser la graine jusqu’à devenir un grand arbre ! C’est encourageant !

 

Propos recueillis le 25 janvier 2018 à Louvain-la-Neuve.